Monde de Narnia 2 : Prince Caspian

Une épopée qui monte en puissance, avec une nouvelle plongée époustouflante dans un monde de centaures, de faunes, de griffons et autres créatures mythologiques. Pas moins de neuf prestataires ont été mobilisés pour réaliser les quelque 1600 plans à effets visuels du film.


Deux ans et demi après le premier film, la magie du Monde de Narnia est de retour sur les écrans. Adapté d’un des livres de C.S. Lewis, ce nouvel épisode raconte comment les enfants Pevensie retrouvent Narnia après une interruption d'un an. Sur Narnia, plus de mille ans se sont écoulés. Les créatures mythologiques ont été chassées par de redoutables et belliqueux humains, les Telmarins, dont le chef Miraz n’a qu’une idée : assassiner le prince héritier Caspian afin de s’emparer du trône. Ce dernier en fuyant découvre l'existence des Narniens et fait appel (involontairement) aux Pevensie pour remettre de l’ordre dans son royaume…
L'intrigue de Prince Caspian est plus sombre, plus prenante que celle du premier film, à la fois parce que les personnages grandissent (les héros  sont maintenant adolescents) et que l'intrigue est plus complexe avec cette guerre entre les colonisateurs Telmarins, au look de conquistadors, et les « indigènes » Narniens. Ce sera d'ailleurs le rôle du Prince Caspian de réconcilier les deux peuples après la bataille finale remportée grâce au retour du lion Aslan, créateur et protecteur de Narnia.
La même équipe est de retour derrière et devant la caméra, avec de nouveau Dean Wright en charge des effets visuels. Cette fois, celui-ci partage le poste avec Wendy Rogers, ancienne collègue du réalisateur Andrew Adamson à l’époque où tous deux travaillaient chez Pacific Data Images (aujourd’hui DreamWorks Animation). Les effets visuels du premier film avaient rapporté à Wright une nomination à l’Oscar. De quoi le motiver pour le second opus.
Comme souvent, la suite s’avère bien plus complexe à mettre en œuvre que l’original. Pour attirer le public dans les salles obscures, il faut faire toujours plus grand, plus spectaculaire, plus réaliste… “En toute honnêteté, le second film constitue un véritable bond de géant au niveau des effets visuels,” affirme-t-il. “Je sais bien qu’on dit ça pour chaque suite, mais cette fois, tout est vraiment à une échelle plus grande. Cela dit, ce n’est pas tellement la quantité de plans qui a changé. Nous avions réalisé plus de 1500 plans pour le premier film, et il y en a 1600 dans le second. C’est donc à peu près la même chose, mais sur le premier, le total comportait environ 300 plans d’effets basiques du type effacement de câbles, correction d’image, etc., ce qui ramenait le nombre de plans « créatifs » à 1200. Cette fois, il y avait 1600 plans qui étaient tous très, très complexes. 90% d’entre eux comportaient des créatures animées en 3D . J’ai calculé qu’à nombre de plans à peu près égal, le second film était quatre fois plus complexe que le premier…”
Les effets sont confiés à neuf sociétés différentes basées sur trois continents. MPC réalise 842 plans, Framestore 514, et Weta Digital 296, tandis que le reste des plans est réalisé chez Scanline VFX, Studio C, Rising Sun, Cinesite, Rainmaker, et Monsters. Surprise : aucun prestataire du premier film n’est de retour ! Exit Rhythm & Hues, Sony Pictures Imageworks et ILM… Une décision motivée par un changement des sites de production. Le premier film avait été post-produit aux États-Unis, ce qui avait rendu logique le choix de sociétés américaines pour réaliser les effets visuels. Dans le cas du second opus, la post-production s’est déroulée à Londres. Dès lors, le choix de sociétés britanniques s’imposait de lui-même. D’autant plus que celles-ci ont apparemment fait le forcing sur leurs prix pour décrocher les contrats…
Phénomène de plus en plus fréquent sur ce type de grosses productions, de nombreux plans sont créés conjointement par plusieurs sociétés. Ainsi, MPC doit créer des personnages 3D qui seront ensuite intégrés dans des décors composites réalisés par Weta Digital. Cela implique une sérieuse coordination au niveau des standards techniques (format, étalonnage, etc.) employés par les uns et les autres.

Du réel pour vendre le virtuel
Durant la préparation, Dean Wright prend la décision de réaliser un décor clé du film à l’aide de miniatures : le château. Un projet d’envergure confié à Weta Workshop, la société de Peter Jackson. “Dans le premier film, nous avions réalisé le palais de la séquence finale en 3D. Mais il n’apparaissait que dans une poignée de plans. Dans Prince Caspian, le château occupait une place essentielle dans le déroulement de l’action : il apparaissait dans plus de 300 plans ! Or, nous avions déjà une masse de travail énorme au niveau de la 3D. En réalisant ce décor à l’aide d’une miniature, on réservait nos ressources infographiques pour des éléments qui ne pouvaient pas être créés autrement.”
Trois décors miniatures différents seront créés par Weta Workshop : le château, la cour intérieure, ainsi qu’une vue d’ensemble sur le château et toute la vallée environnante, village compris. Ces prises de vues sont ensuite largement retouchées par Weta Digital par ajout de brume atmosphérique, de figurants 3D, d’oiseaux, etc. Les vues rapprochées sur les maquettes sont combinées avec des images des acteurs filmées dans des décors partiels. “Je suis persuadé qu’on obtient de meilleurs résultats en filmant de vrais éléments,” explique Wright. “Ces parties réelles de l’image attirent l’œil du spectateur et contribuent à rendre la 3D plus crédible. Avec une maquette, on avait un vrai décor sous les yeux, avec de vraies matières, des murs dont la caméra pouvait s’approcher sans craindre que les textures « pixellisent ». La même technique a été employée pour les scènes de foule dans la bataille finale : nous avions toujours un groupe d’acteurs réels à l’avant-plan, et nos armées virtuelles à l’arrière-plan.”

De nouvelles méthodes
Après avoir analysé son expérience sur le premier film, Dean Wright modifie sa façon de faire sur plusieurs aspects des effets visuels de Prince Caspian. La première décision est de ne pas utiliser de motion capture à la prise de vue. Sur le premier film, cette technique s’était avérée utile pour détecter les mouvements de jambes de l’interprète du faune Tumnus afin de les appliquer aux pattes 3D. Cependant, les équipes ne s’en étaient quasiment pas servies pour le reste des effets. Cette fois, l’approche a été beaucoup plus spontanée. Pour chaque plan de créature faisant intervenir des effets 3D, l’action est filmée avec trois caméras haute définition disposées en arc de cercle autour du ou des interprètes. Elles viennent s’ajouter aux caméras principales qui filment l’action elle-même.
“Ces caméras additionnelles nous fournissaient plusieurs points de vue différents sur les mouvements de l’interprète. Par triangulation des trois perspectives, on pouvait ensuite reconstituer image par image la position du personnage en trois dimensions. Cela nous permettait d’animer avec précision les pattes 3D d’un faune ou le corps d’un centaure, et de les caler sur le corps réel de l’interprète. C’est la technique qu’ILM a utilisée pour créer Davy Jones dans Pirates des Caraïbes 3. Comme sur le premier film, les acteurs portaient des collants verts ou bleus, suivant qu’on tournait de jour ou de nuit. Ces collants étaient équipés de points de repère afin de visualiser avec précision chaque mouvement.”

Mélange d’extensions 3D et de full 3D
Prévoyant la mise en chantier d’une suite, Dean Wright avait pris soin de récupérer tous les fichiers, textures, géométries, etc., à la fin de la post-production du premier film. Malgré cela, cette masse considérable de données ne sera quasiment pas utilisée pour le second film. À cause des différences de pipeline, tout est refait à zéro : les rigs, les textures, les structures musculaires, etc. Seules quelques géométries sont réutilisées. C’est le cas pour MPC, responsable de la plupart des créatures du film : minotaures, griffons, centaures, félins, ours, etc. Certaines seront créées entièrement en 3D, notamment les animaux, d’autres sont une combinaison d’acteurs réels et d’extensions 3D. La majorité de ces créatures sont recouvertes de plumes ou de fourrure. Par chance, MPC vient de finir le film 10.000 BC pour lequel son département de recherche et développement a mis au point un tout nouvel outil de simulation de fourrure. Celui-ci permet aux artistes d’ajuster l’apparence de la fourrure, sa texture et aussi son comportement, personnage par personnage.
La bataille finale présente de multiples défis dans la mesure où toutes ces créatures apparaissent simultanément à l’écran, face à l’armée des Telmarins. Les plans sont filmés avec des figurants au premier plan, puis complétés par des personnages créés en 3D par MPC. Humains et créatures sont animés dans ALICE, le programme de simulation de foule développé par le studio pour les besoins de Troie. Ces animations sont basées sur des mouvements génériques – course, chute, attaque, parade, etc. – enregistrés en studio avec des cascadeurs lors de séances de motion capture. Ensuite, les mouvements sont, au besoin, retouchés à la main pour modifier une attitude.
Les centaures s’avèrent être les personnages « humanoïdes » les plus complexes à visualiser. “Selon le cadrage et le type d’action, nous avons mis en œuvre trois techniques différentes,” précise Dean Wright. “Les centaures sont soit des acteurs maquillés auxquels on a ajouté un corps de cheval 3D, soit de vrais chevaux dont on a effacé la tête pour la remplacer par le buste d’un homme 3D, soit le personnage entier est une animation 3D.”

Le retour d'Aslan
De son côté, l’équipe de Framestore s’attelait à une mission particulièrement délicate : reprendre le personnage d’Aslan, dieu vivant en forme de lion géant, et surpasser le travail réalisé sur le Monde de Narnia 1 par Rhythm & Hues. Là encore, les artistes peuvent bénéficier de l’expérience acquise sur un projet récent, en l’occurrence, les ours polaires de La Boussole d’Or. De quoi leur permettre de réaliser une crinière 3D au réalisme inégalé.
Côté technique, l’équipe repart quasiment de zéro et reconstitue le personnage de toutes pièces. Les animateurs s’attachent à retrouver les expressions faciales élaborées pour le premier film. Un vrai défi cet Aslan, car il a peu de dialogues et l’essentiel de sa personnalité doit passer par le regard et les expressions. Il faut travailler tout en subtilité, en retenue. Aslan gagne à être animé de façon minimaliste, même si cela oblige les animateurs à contrôler leur propension à « en rajouter » !
Dean Wright et Framestore s’efforcent de faire d’Aslan un personnage physique, tangible. “Nous voulions que les spectateurs croient en la réalité d’Aslan,” Wright explique. “Il y a une scène où Lucy enlace Aslan et roule avec lui sur le sol. C’était la plus difficile de tout le film sur le plan des effets visuels. Il fallait montrer les bras et les mains de Lucy fourrageant dans la fourrure 3D d’Aslan… Nous avons procédé en plusieurs étapes. D’abord, l’actrice Georgie Hensley a été filmée en train de rouler au sol avec l’acteur Shane Rangi, lequel portait la moitié avant d’un costume de lion. Ensuite, Shane a été entièrement effacé de l’image – un sacré défi concernant la crinière… Puis, Framestore l’a remplacé par la version 3D de Aslan. Ensuite, ils ont créé une réplique numérique de Georgie dont l’animation a été calée sur les mouvements de l’actrice. Les bras et les mains 3D ont alors été utilisés comme des objets de collision qui interféraient avec la simulation de la crinière. En déplaçant les poils 3D, l’animation des bras reproduisait l’effet de mains se promenant dans une fourrure épaisse. Ces bras numériques n’ont pas été utilisés dans l’image finale, ils n’ont servi qu’à déplacer la fourrure en parfait synchronisme avec les mouvements des bras de l’actrice. C’était un travail vraiment complexe et fastidieux, mais cela nous a permis de renforcer la présence physique du personnage dans la scène.”

Visualiser les créatures au tournage
Pour chaque plan d’Aslan, l’équipe de tournage filme une fausse tête hyperréaliste fabriquée par KNB EFX Group. Placée dans le décor à l’endroit où Aslan sera ensuite intégré, elle fournit une précieuse référence sur les ombres, les lumières, la façon dont la fourrure capte la lumière, etc. Les autres personnages 3D principaux sont eux aussi visualisés sous la forme de marionnettes pour être filmés à titre de référence. “Lorsqu’il s’agissait d’un personnage important, nous en avions toujours une représentation physique dans la prise de vues,” souligne Wright. “Dans les plans en mouvement, c’était Shane Rangi qui interprétait Aslan, ou bien un ours, etc. Il portait un justaucorps bleu ou vert muni de traqueurs. Sa présence dans l’image impliquait ensuite un gros travail d’effacement, mais il y avait deux avantages : premièrement, les acteurs jouaient beaucoup mieux leur rôle lorsqu’ils avaient quelque chose de tangible devant eux, et deuxièmement, le travail des cadreurs était grandement facilité.”

Le dieu de la Rivière, VFX le plus omplexe
Le personnage le plus complexe sur le plan technique est sans doute le dieu de la Rivière, une créature gigantesque qui se forme come une trombe d'eau à partir d’une rivière. Le personnage aspire l’eau en un vortex qui forme le corps, puis le liquide retombe au sol par les bras et les cheveux, le tout en un mouvement continu. Les 22 plans sont confiés à Scanline VFX, une société allemande qui a conçu un remarquable logiciel de simulation de fluides, Flowline. Le personnage est d’abord animé à partir d’une géométrie, puis la simulation est appliquée sur cette animation, y compris l’écume, les gerbes d’eau et chaque goutte individuelle…
Entre le Dieu de la Rivière, les centaures, les faunes et autres souris bagarreuse, le film est un véritable festival d’animation 3D, avec un travail bien plus important que pour le premier film et en beaucoup moins de temps… De quoi ravir Dean Wright, lequel est à présent parti vers d’autres horizons. Une nouvelle équipe est d’ores et déjà à pied d’œuvre sur le troisième film de la saga, L’Odyssée du Passeur d’Aurore, à découvrir en 2010 !

ALAIN  BIELIK  Juillet 2008 (commentaires images Paul Schmitt)


Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 17 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.